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ARTS VIVANTS

Entre chien et loup de Christiane Jatahy

  • d’après Dogville de Lars Von Trier

J’aime beaucoup le travail de Christiane Jatahy. Artiste, associée à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, elle est autrice metteuse en scène et cinéaste. Brésilienne, née à Rio de Janeiro, son plateau ressemble souvent à une tour de Babel, au monde contemporain, multi linguiste.

Pour son impressionnante mise en scène d’Ithaque, il a quelques années, sur un texte inspiré bien sûr d’Ulysse, elle avait pris possession de la scène des Ateliers Berthier, invitant les spectateurs à se déplacer de part et d’autre de la scène coupée en deux par un rideau, pour un double récit, ici celui d’Ulysse et là celui de Pénélope.

Surtout elle y faisait à la fin évoluer ses acteurs, filmés au plus près en vidéo sur une scène littéralement transformée en pataugeoire.

L’exil ressemblait alors aux travaux d’Hercule.

J’avais moins aimé le Présent qui déborde.

Cette fois pas de gros dispositifs pas de grands effets, un seul plateau dont l’espace évoluera sous la seule action du déplacement des meubles par les acteurs.  Il y a presque ici quelque chose de dépouillé.

Pas de noir complet dans la salle non plus. Une volonté de mettre spectateur face au réel du propos. D’enlever les barrières de la scène pour faire salle commune.  Seuls restent les acteurs, la double scène théâtrale et vidéaste et en vis-à-vis, chacun d’entre nous, tous ensemble. C’est que le propos est lourd.

Christiane Jahady, très ébranlée par le retour du fascisme dans son pays, nous parle de cette montée silencieuse des idées de l’extrême droite. Cet écho sourd que rien ne semble arrêter.

Comme dans le film de Lars Von Trier, une petite société accueille une étrangère, ici jeune réfugiée politique. Petit à petit celle-ci devient l’objet de violence au travers desquelles la communauté se ressoude.

C’est l’aveuglement que montre Christiane Jatahy, celui de gens pas plus totalitaristes que d’autres au départ mais que la xénophobie insidieusement va structurer en groupe.

Le propos se déploie sur deux axes. Via la vidéo l’artiste enchevêtre l’hier et le demain, alors que comme le crie Julia Bernat, son actrice « fétiche », c’est aujourd’hui qui importe ! Le montage mêlant images directes et d’autres préenregistrées, suggère une ritournelle où le temps ne compte plus, puisqu’au final on n’apprend rien et que l’Histoire se répète.

A cela l’artiste suggère une réponse : l’urgence de créer du commun. « Cette réponse, nous ne la construisons pas seuls. Une partie de ma réflexion pointe ver l’urgence de faire du commun […] Nous devons également créer une communauté. Pas une communauté d’internautes qui crient seuls derrière leurs écrans. Une communauté réelle, qui exige une présence, un corps, un débat, une négociation, un partage réel »

Quand on demande Christiane Jatahy si le théâtre peut quelque chose contre la montée du fascisme, elle répond : « C’est une question difficile… Je pense qu’il est important d’utiliser tous les outils que nous avons à notre disposition. Mon territoire c’est le théâtre. Je le conçois comme une plateforme de discussion, une agora. […] le théâtre est toujours le lieu du politique, car on s’y rassemble pour voir et penser.»

Ce qui est certain c’est que ce théâtre-là est essentiel aujourd’hui !

Jusqu’au 1er avril -Ateliers Berthier – Durée 1h40