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Amour et Histoire Littérature française

Nuits d’été à Brooklyn ou la fausse légèreté de Mademoiselle Schneck

Août 91, à Crown Heights, un quartier de Brooklyn, un jeune Afro-américain de 7 ans, Gavin Cato, meurt écrasé, accidentellement, par la voiture d’un jeune Juif.  Trois nuits d’émeutes s’en suivent, trois nuits où une foule de jeunes, traversée par de funestes rumeurs quant à la responsabilité du jeune conducteur, scandera « A mort les Juifs ! ». Jusqu’à ce que l’un d’eux, Yankel Rosenbaum soit tabassé et poignardé à mort. La seule émeute antisémite qu’ait jamais connu New York. 

Août 91, Esther, une jeune française, talentueuse étudiante, effectue son premier stage, comme journaliste, dans le bureau new-yorkais d’un grand quotidien français. Esther veut comprendre les raisons qui ont précipité ces deux communautés, vivant en paix jusque-là, dans cette violence haineuse. La jeune-femme est juive et ces nuits font écho à son histoire familiale, même si elle a tenté de l’ignorer jusque-là, même si l’insouciance de ses vingt ans s’étale comme un pauvre cataplasme sur la tragédie familiale et nationale. 

Mais elle veut enquêter et prend rendez-vous avec un professeur d’université. Frederick est magnifique et spécialiste de Flaubert. Il est marié, a 41 ans et est noir. Coup de foudre assuré! Face à la colère haineuse de la rue, l’éclaircie de leur amour va s’imposer comme une réparation.

Petite et grande histoire de la vie

Quel que soit son sujet Colombe Schneck s’applique toujours à faire un roman biographique, à mettre en perspective des parcelles de sa vie et l’histoire de la nôtre. Elle mélange subtilement, légèreté et tragédie, anecdotes et évènements, l’insouciance de sa jeunesse à l’école alsacienne et la souffrance de celle de sa grand-mère. Le tragique d’une nuit de massacre à la fleur de lait d’un café.

Colombe Schneck se lit dans les détails, les recoins où s’accumulent les bribes de sens de sa vie. Elle adore décrire par le menu tout ce qu’elle voit, un tic de journaliste sans doute ou la volonté de photographier le réel ? Elle le fait avec ironie, à la Philip Roth ou Jonathan Safran ou bien innocence à la Woody Allen.  

Esther agace avec ses coquetteries de petite Parisienne, fait rire avec son regard aigu et finalement convainc par sa sincérité. Qui par ailleurs aurait pu inventer ce prof érudit et spécialiste de « Madame Bovary », à qui finalement il ressemble ? 

Colombe Schneck est pleine de recoins, on vous aura prévenu.

Le livre est sorti début mars, au début du confinement. Bien avant la secousse du meurtre de George Floyd par la police en mai 2020. Impressionnante coïncidence. Mais la question de l’autrice, au-delà du communautarisme,  est la même que celle de l’Ukrainien Vladimir Korolenko qu’Esther cite :  « Vladimir Korolenko se demande comment un voisin peut se transformer en monstre. Comment les « retenues ordinaires de civilisation peuvent disparaître aussi rapidement ». Vladimir Korolenko n’offre pas de réponse. », Esther va tenter de trouver la sienne en ne déniant plus son histoire. Et Colombe Schneck en dépliant la sienne. Jeanne Thiriet

Nuits d’été à Brooklyn, Colombe Schneck, Stock