Catégories
Littérature française

« L’Intimité » ausculte nos désirs de maternité. Une symphonie héroïque !

Parfois essai, parfois document, tout le temps roman, le dernier livre d’Alice Ferney se dévore avec grande attention. Une histoire de la maternité et plutôt des maternités totalement contemporaine. On attend décidément pas un enfant en 2020 comme on le faisait il y a cinquante ans. Les enfants portent plutôt le doux prénom de Désirée que celui discuté d’Opportune. L’hallucination de la maternité désirée est devenu à la fois poison moderne et épopée contemporaine . Il y a aujourd’hui grâce aux évolutions de la science, congélation des ovocytes, FIV, PMA, GPA tant de possibilités de devenir mère ou père, à condition de passer par la case génitrice. Il y a parfois à bas bruits quelques voix qui s’élèvent pour assumer le non-désir de maternité voire d’enfant. Mais elles ont encore plus de mal à se faire entendre aujourd’hui. Le choix. Depuis les années 70, les femmes veulent avoir le choix de l’enfant. Les hommes aussi d’ailleurs. Depuis les années 70, on a pourtant du mal à faire le tri, tant la parentalité est devenue indispensable à l’existence. Faire famille, une raison sociale qui ne laisse plus de choix. Entre l’incantation et le diktat, il y a peu de place pour la liberté finalement. C’est Sandra, la libraire quarantenaire, qui porte cette respiration libre dans ce roman. Elle n’a pas d’enfant parce qu’elle n’en veut pas. Elle est célibataire parce qu’elle le veut . Un contre-modèle qui prend son droit de vivre au siècle du mariage « pour tous » et de l’enfant « pour tous ». Il ne s’agit pas de revenir sur ce droit légitime et démocratique. Mais Sandra porte une autre façon de vivre pleinement et pourtant regardée comme une curiosité au XXIe siècle, dont le couple semble être la clé de voûte. Niant même la difficulté à faire couple. Sujet qui résiste en arrière-plan du roman L’Intimité.

Regarder en face les affaires de femmes

Car avant tout l’Intimité, énoncée par Alice Ferney, c’est cela: regarder en face ce qu’on appelait, il y a moins de soixante ans, les affaires de femmes. Dans le secret des gynécées familiaux, le grand récit des femmes s’écoutait le plus souvent à la cuisine. Tous ces témoignages de naissances : dramatiques, douloureuses, heureuses ; d’accouchement difficiles et de médecins brutaux sont le ferment d’un des grands liens des femmes entre elles, leur alliance objective, ce qu’elles partagent le plus simplement entre inconnues.  Un corpus incroyablement divers d’histoires singulières, uniques, où vie prochaine et risque de mort se côtoient jusqu’au premier cri de l’enfant. Car il s’agit aussi de corps, sacrifiés, ouverts, parfois déchirés. La naissance est violente comme la nature. C’est sans doute cela qui lui donne sa dimension héroïque et aux mères leur statut de « chevalier.es » de la vie. La naissance reste le plus grand inconnu de la procréation. Est-ce pour cela que l’aventure est si terrifiante et tentante?

L’épopée héroïque de la naissance

Mourir d’aimer, c’est ainsi que s’ouvre le dernier roman d’Alice Ferney. On fait parfois un enfant par amour sans amour du risque. C’est le cas d’Ada et Alexandre, le jeune couple qui confie rapidement leur aîné, avant de partir à la clinique, à Sandra, la voisine sympa qui, elle, n’en veut pas d’enfant justement. Pourtant le petit Nicolas fait vibrer en elle l’écho d’une fibre inconnue. Plus tard, dans cette histoire viendra Alba qui veut être mère mais pas par insémination naturelle. Réduisant l’homme qu’elle aime à sa simple condition de géniteur et elle-même de génitrice.

Les maternités d’aujourd’hui, multifacettes et multi possibilités. 

Ce grand roman d’Alice Ferney, philosophique et éthique, questionne notre condition d’être humain qui n’en finissons pas d’inventer nos modus vivendi.  Notamment pour accéder au « grand » bonheur d’être parent même si la nature nous le refuse. Comme Sandra on se met à penser qu’on en fait peut-être un peu trop sur ce passage presqu’obligatoire pour être un adulte réussi. En prenant le risque de repousser les limites de la nature un peu loin. Comme Alba on peut défendre une conjugalité sans reproduction directe, on ne vous en dira pas plus.Comme Alexandre, on peut courir après l’enfant preuve d’amour de l’homme pour sa compagne, irrépressible désir d’être LE père envers et contre tous.

Que cachons-nous derrière nos postures? Pulsion ou désir?  

Après sa grande et belle saga familiale Les Bourgeois, Alice Ferney revient à l’histoire contemporaine presque futuriste de la maternité qui peut parfois tourner à l’essai éthique ou au document GPA mais qui reste passionnant grâce à ses personnages d’une originalité sans compromis.

Passé un peu sous silence cet été il est grand temps de lui rendre sa juste place dans cette rentrée littéraire traversée par les questions féministes.