« Tu n’es pas soûle, il te faudrait deux verres de plus, mais ta gorge se noue et tes pensées deviennent d’un tel fouillis que tu ne trouves plus le moindre mot. Tu es soudain un petit enfant sans langage, qui ne peut que sourire, pleurer, jouer à cache-cache avec les mots. Où sont-ils partis si soudainement ? Au pire moment, alors que parfois, pendant l’insomnie, pendant la journée et ses angoisses, il y en a tellement que tu aimerais qu’ils disparaissent ? Tu lèves ton verre, dis très fort : « Tchin à tous », ce qui ne veut rien dire. Un autre verre vient entrechoquer le tien. Le bruit te surprend, tes oreilles bourdonnent et un peu de ton champagne se déversent sur le parquet. Tu l’essuies avec le pied.
GPS Lucie RICO page 31
En sélection pour le Fémina, le prix Wepler, le Prix FNAC et le prix du Monde, GPS, le deuxième roman de Lucie Rico, marque la rentrée littéraire. Si souvent ce deuxième roman est le plus difficile, d’autant plus quand le premier Le chant du poulet sous vide , dessine un univers très singulier entre poésie, humour et Fantasy et bien cette fois, Lucie Rico confirme son talent mature d’écrivaine et continue ce qu’on pourrait appeler son récit de jeunesse d’une modernité inquiétante, comme l’époque.
Comme pour son premier roman, elle l’incarne dans une jeune fille à qui la vie ne fait pas de cadeau. Si pour Le chant du poulet sous vide, elle ressemblait à une Amélie Poulain, écologique, se débattant contre l’agro alimentaire industriel, cette fois, elle déploie une jeunesse désespérée, post Covid agressée par l’extérieur, rassurée par la solitude, enfermée entre quatre murs mais fascinée par un point GPS qui représente la seule personne qu’elle aime vraiment, son seul lien vers l’extérieur, son amie, Sandrine.
Elle en dessine les déambulations , dans un monde dont le réel se maintient au gré des algorithmes d’une appli de localisation, un réel qui ne fait traces.
Le récit se déroule à la deuxième personne-fait suffisamment rare en littérature pour qu’on s’y arrête… Et donne un espace et une perspective large à l’adresse du livre.
Qui est ce tu? Moi, Ariane la narratrice ? Poussant au bout sa solitude? Moi, l’amie Sandrine ? Moi, lectrice? Moi autrice? Moi jeune femme du XXIe siècle ?
Bien sûr, il s’agit d’une chasse au trésor de l’amitié, mais en toile de fond de l’absurdité d’un monde qui roule sans la jeunesse… Le fantôme pandémique des rues vides de rire et de joie, se diffuse au fil du récit. Il fait écho à un hier très proche qui pourrait ressembler au futur.
No future? Not at all! Lucie Rico a su garder son humour, décalé moitié caustique moitié innocent.
Ariane clopine dans sa vie à la manière d’un Charlie Chaplin, les yeux bien écarquillés.
GPS, Lucie Rico, P.O.L