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Littérature française

« Elmet », quand le vert vire au noir

C’est le premier et magistral roman d’une toute jeune Anglaise de 30 ans, Fiona Mozley, qui a fini dans la « short list » du Man Booker Price 2017, équivalant du Goncourt chez nos amis du Brexit (ou pas), et qui vient de sortir chez Joëlle Losfeld Editions. Outre-Manche voire Outre-Atlantique, on le range dans la catégorie des « rural noir » -yes, in french also- c’est-à-dire des romans dont l’intrigue, tenant parfois du polar, se noue dans la campagne et la nature. 

Ici nous sommes dans le Yorkshire, la région où a grandi Ted Hugues, célèbre poète de l’innocente sauvagerie de la nature, mais surtout la plus grande des régions minières que le libéralisme violent de Margaret Thatcher a rendu exsangue, en écrasant l’une des plus grandes grèves de mineurs que connut l’Angleterre dans les années 80. 

Elmet, titre du livre, est le nom celte du West Yorkshire, sanctuaire de ceux qui veulent échapper à la loi et qui est resté indépendant jusqu’au VIIe siècle.

 C’est là que vit Dan, le narrateur, un jeune adolescent de 14 ans, délicat et fragile.  Avec son père, un géant de deux mètres, aux poings et bras impressionnants, connu pour son invincibilité, dans les combats de boxe clandestins, et sa sœur Cathy 15 ans qui aime rouler ses cigarettes, boire du whisky et tenir le fusil. Une nouvelle vie pour ces trois-là qui ont dû quitter la maison familiale à la mort de la grand-mère pour construire leur maison de leurs propres mains, sur un terrain abandonné entre la lisière du bois et la voie ferrée de la ligne Londres-Édimbourg. John élève ses enfants pour qu’ils deviennent libres et autosuffisants, il leur a construit une tour intérieure imprenable : « C’était la raison pour laquelle papa nous avait emmenés jusqu’ici : il voulait nous garder à l’écart, nous garder en nous-mêmes, nous protéger du monde. Nous donner une chance, disait-il, de vivre notre propre vie ».

Malgré les difficultés financières, la vie est simple et douce chez les Smythe. En complète autarcie, on y fait cuire son pain, décore la table de noël, et accueille les entrants avec une tasse de thé fumante. C’est la maison du bonheur face à la pauvreté et la barbarie environnante et le géant-boxeur se révèle plein de douceur et de bienveillance pour ses enfants. Mais la mélodie du bonheur n’aura qu’un temps, celui de Mr Price, propriétaire agricole et foncier, qui donne du travail aux journaliers agricoles et leur reprend via des loyers exorbitants.  Plus on s’approche de la ville, plus le monde de Dan devient rude, pauvre, violent et… contemporain. On est alors plus proche de Ken Loach que des sœurs Brontë. Fini la magie de la tendresse ou les esprits protecteurs de la forêt. L’utopie douce décrite par le jeune-homme se transforme en insoutenable barbarie.

Un conte social dont l’auteur revendique la critique implacable de l’Angleterre libérale d’aujourd’hui qui abandonne dans ses campagnes ses damnés de la terre. On attend son deuxième livre avec impatience !