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Littérature française

Sankhara : Confinage et fracas du monde

Cela fait quelques mois que je veux vous parler de ce livre et je reporte, je reporte… Pourquoi ? Je ne sais pas… La vie qui passe à 100km/h sans doute. 

Rien à voir avec ce que nous vivons aujourd’hui ! Maintenant le temps prend son temps, on l’entendrait presque s’écouler dans le sablier. Sauf si on est soignant, agriculteur, service public ou alimentaire -merci à eux-  où là on court après le temps avec une forte envie de le faire reculer pour mieux s’y préparer.

Finalement, c’est le bon moment pour vous parler de ce livre. Il retrace si bien la période que nous vivons. 

Hélène et Sébastien, jeunes parents de petites jumelles, ont pris du champ l’un vis-à-vis de l’autre. Sébastien, journaliste, travaille comme un forcené au desk actu de l’AFP et Hélène s’est retrouvée, sans l’avoir voulu vraiment, sans s’y être opposée non plus, gardienne du foyer. Heureusement elle écrit : du non publié, du secret, du non montrable. Petit à petit, dans leur histoire, elle devient celle qui ne bosse pas, celle qui ne fait rien, l’invisible du couple.

Et puis un jour ça pète!

Hélène fait son sac et part dix jours, seule, sans dire où et en spécifiant qu’elle est injoignable. Elle rejoint une retraite Vipassana, de la méditation et du strict silence dans une campagne française. Elle plonge dans le grand silence à la recherche d’elle-même, parfois en luttant parfois en glissant. Certain pourrait penser que c’est un séjour pour bobo new-age, il s’agit plutôt d’un combat, d’un bras de fer avec soi, d’un strip-tease de l’âme, d’un échange d’une armure extérieure pour une autre intérieure que l’on touche de temps à autre, au fil de l’expérience. Hors du fracas du monde.

Sébastien, de son côté, se débat, il ne comprend rien. Persuadé qu’Hélène le trompe, il fait n’importe quoi. Invente les scenarii les plus farfelus. Et puis, le 11 septembre, le premier drame du XXIe siècle explose…

Finalement les deux protagonistes incarnent les deux parties de nous-mêmes, celle qui se met en retrait, forcée ou non, pour retrouver quelque chose d’elle-même qui se serait perdu à l’extérieur. Et l’autre est planté dans le présent d’un monde qui s’écroule violemment et qui est pourtant le nôtre. Le seul qu’on est à vivre finalement.

Le roman est construit sur ce double miroir, celui que nous tend Hélène sur l’urgence à ralentir, se dépouiller, trouver ses fondamentaux et celui que nous tend Sébastien, les yeux grands ouverts sur un monde qui s’écroule.

Frédérique Deghelt est une conteuse en finesse qui ne cesse de nous poser de façon romanesque les questions bien réelles de notre époque. La plus belle puisque c’est la nôtre et que c’est la seule que nous ayons à vivre.

Sankhara de Fréderique Deghelt chez Actes Sud paru le 8 janvier