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Littérature française

« Avant que je l’oublie », un premier roman qui a tout d’un grand !

Sorti en août dernier, après avoir tenu la corde dans les sélections du Goncourt et autre prix de la rentrée 2019, ce roman vient d’emporter le prix fameux du livre Inter. Et tant mieux, il caracole au top des ventes de cet été. Et pour une bonne raison : il se traverse et nous traverse. 

La mort on n’aime pas trop en parler, hein ? Pourtant comment vivre sans ces deux bornes qui font la preuve de notre existence : la naissance et la mort. Et plus certainement celle d’un proche, aussi anonyme soit-t-il. C’est le roman du désarroi de ceux qui restent, sans bien savoir comment faire avec cela.  Plus près de l’élégie que de l’éloge funèbre, Anne Pauly trace au mot à mot la perte d’un père pas si aimable et pourtant aimé. Elle parle même dans une interview récente sur France Inter d’un livre « mausolée » à la mémoire du sien.

Un père « gros déglingo »

La narratrice et donc l’autrice regarde son mort en face dans une approche toute phénoménologique, laissant à la porte de l’hôpital son imagination, pour observer le grand bouleversement d’un temps qui s’arrête alors que tout autour continue. Dans le même temps ce mort est son père qu’elle perd, comme une image qui s’évanouit, et pour ne pas l’oublier, elle le met en suspension, le temps de le reconstituer, de reconnaître sa vie au travers de petits bouts de lui collectés. Sans concessions. Sa brutalité détestable contre sa mère, son alcoolisme, ses silences rugueux, ses coups de sang inexpliqués mais aussi, toujours en contre-point, l’autre père, celui qui dévoile sa tendresse en même temps que ses obsessions de collectionneur de proverbes bouddhistes et de plumes d’oiseaux ou de maniaque du quotidien. 

A chaque page elle soulève la poussière grise de l’armure du guerrier, peu admirable, et le dévoile à la lumière d’un quotidien qui, s’il n’a rien d’héroïque, ne manque pas de vie.  Elle mène l’enquête et fait un inventaire à la Prévert avant de refermer la porte de cette vie envolée. Sans s’épargner non plus.

Peut-on aimer sa brute de père ? Oui ! Peut-on se transformer en mer de glace face à lui ? Peut-on être égoïste face à la maladie et la vieillesse ? Oui ! Surtout quand on a vu sa mère s’en prendre pleins la gueule… Peut-on lui rendre hommage ? Oui ! Parce qu’aucun de nous n’est fait d’une seule pièce et que parfois en grattant on peut trouver mieux que ce qu’il n’y parait.

Ce livre nous met face à nos morts comme une invitation à les conserver dans leur normalité dans un souvenir qui rend justice à ce qu’ils ont été. Anne Pauly invite à créer son rite singulier, son libre hommage, face à notre désarroi , dans un monde où les seuls rites mortuaires proposés sont un service payant.

Un roman vivant comme un pouls d’aujourd’hui

La langue d’Anne Pauly est franche, nette, sans fanfreluche, elle la puise dans l’honnêteté de la femme qu’elle est devenue, dans son origine sociale, celle des « nobody » comme elle dit, et dans son humour farceur venant panser la tragédie. Car on rit en lisant ce livre. Il en reste à la fin, cette poésie qui ne masque jamais la douleur d’une fille qui n’a pas manqué de père. 

Extrait : « Que ses collègues qui l’appelaient Chipo parce qu’il pétait au bureau, lui accorde leur estime et le désignent comme porte-parole quand il fallait négocier avec le chef semblait lui avoir suffi. »

Avant que je l’oublie, Anne Pauly, Verdier Chaoïd, Prix du livre Inter

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Littérature française

« Nos espérances » ou l’histoire d’une génération désenchantée

Trois amies, trois histoires de femmes qui pourraient être celles de nos meilleures amies si nous avions quarante ans. Liss, Annah et Cate sont trois londoniennes emportées par le vent et le tourbillon de leur vie mais très lestées par les premiers bilans. Ce moment où un léger mouvement de tête vers l’arrière nous invite à se poser.  Plus tout à fait jeunes mais assurément pas vieilles, leurs premiers choix ont clairement passés le cap des options. « Nos espérances » est le roman de nos petites ou grandes trahisons de jeunesse. Choisir c’est trahir ? Un peu quand même… en tout cas ses propres illusions et souvent le moteur de sa jeunesse. 

L’amitié, un rempart complexe contre l’adversité

Anna Hope, l’autrice, opère un va et vient entre les balbutiements de leur affection en 1995, les silences et bégaiements des années suivantes jusqu’en 2018. Sans suivre pourtant de chronologie, le roman ressemble plutôt à une analepse, un va et vient entre hier et aujourd’hui. Comme des retrouvailles quand on s’est perdu de vue et qu’il manque des bouts d’histoire de l’une ou l’autre. Tous ces petits bouts finissent par prendre forme.  Vingt-trois ans d’amitié ce n’est pas rien et comme dans un couple, il y a des hauts et des bas sauf que, cette fois, la partie se joue à trois et que l’une d’entre-elles servira toujours de traits d’union aux deux autres. Pourquoi Liss, Cate et Hannah ont-elles préservé une telle amitié ? Sans doute parce qu’elle aura été leur bouée de survie toutes ses année où ce n’est pas si simple d’être jeune. Elle subsiste comme une trace de leur innocence, de leur croyance solide dans tous les possibles et est devenue la gardienne de cette lumière triomphante de leurs premières années. Qui la lâcherait ?

Une histoire de sororité sans dogmatisme

La force de ce roman est d’avoir installé ce thème universel dans notre époque. Peut-être est-il encore plus difficile d’être jeune aujourd’hui ? Ces trois femmes se débattent dans une époque « no future » où il est bien difficile de cultiver ses espérances, quand on appartient à cette « génération désenchantée », comme le chante Mylène Farmer. Elles se fraient donc, avec courage, une voie dans les nouveaux questionnements de ce XXIe siècle. Faire partie du monde ou juste agir dans sa vie ? Construire une famille sans illusions ou bien apprendre à vivre avec son désir non réalisé d’enfant ? Accepter que le mot réussite ne s’accorde pas au pluriel, surtout si on veut répondre aux injonctions de performance ? Vivre avec ses déceptions et ses manques ou écrire sa propre vie ?

Anna Hope réussit à rendre son lecteur captif de cet enchevêtrement de dilemmes contemporains, comme elle avait su le faire avec son magnifique « Salle de bal ». C’est une observatrice de l’intérieur, de l’intime. 

L’influence d’Alison Lurie et Doris Lessing ?

On retrouve en la lisant un plaisir connu avec Alison Lurie ou Doris Lessing. Elle dessine les contours d’une histoire des femmes d’aujourd’hui, de sororité aurait-on dit, il y a quelques temps, sans avoir peur de ce joli mot. D’ailleurs le titre en Français, choisi par son éditeur, ne s’en cache pas trop. Il y a dans ce « Nos » un peu de chacune d’entre nous. Sur les traces de ses deux illustres aînées, on se sent prête à suivre Anna Hope à toutes les pages. Je ne saurai trop vous conseiller d’emporter ce livre dans votre valise déconfinée. Jeanne Thiriet

« Nos espérances », Anna Hope, Gallimard

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Amour et Histoire Littérature française

Nuits d’été à Brooklyn ou la fausse légèreté de Mademoiselle Schneck

Août 91, à Crown Heights, un quartier de Brooklyn, un jeune Afro-américain de 7 ans, Gavin Cato, meurt écrasé, accidentellement, par la voiture d’un jeune Juif.  Trois nuits d’émeutes s’en suivent, trois nuits où une foule de jeunes, traversée par de funestes rumeurs quant à la responsabilité du jeune conducteur, scandera « A mort les Juifs ! ». Jusqu’à ce que l’un d’eux, Yankel Rosenbaum soit tabassé et poignardé à mort. La seule émeute antisémite qu’ait jamais connu New York. 

Août 91, Esther, une jeune française, talentueuse étudiante, effectue son premier stage, comme journaliste, dans le bureau new-yorkais d’un grand quotidien français. Esther veut comprendre les raisons qui ont précipité ces deux communautés, vivant en paix jusque-là, dans cette violence haineuse. La jeune-femme est juive et ces nuits font écho à son histoire familiale, même si elle a tenté de l’ignorer jusque-là, même si l’insouciance de ses vingt ans s’étale comme un pauvre cataplasme sur la tragédie familiale et nationale. 

Mais elle veut enquêter et prend rendez-vous avec un professeur d’université. Frederick est magnifique et spécialiste de Flaubert. Il est marié, a 41 ans et est noir. Coup de foudre assuré! Face à la colère haineuse de la rue, l’éclaircie de leur amour va s’imposer comme une réparation.

Petite et grande histoire de la vie

Quel que soit son sujet Colombe Schneck s’applique toujours à faire un roman biographique, à mettre en perspective des parcelles de sa vie et l’histoire de la nôtre. Elle mélange subtilement, légèreté et tragédie, anecdotes et évènements, l’insouciance de sa jeunesse à l’école alsacienne et la souffrance de celle de sa grand-mère. Le tragique d’une nuit de massacre à la fleur de lait d’un café.

Colombe Schneck se lit dans les détails, les recoins où s’accumulent les bribes de sens de sa vie. Elle adore décrire par le menu tout ce qu’elle voit, un tic de journaliste sans doute ou la volonté de photographier le réel ? Elle le fait avec ironie, à la Philip Roth ou Jonathan Safran ou bien innocence à la Woody Allen.  

Esther agace avec ses coquetteries de petite Parisienne, fait rire avec son regard aigu et finalement convainc par sa sincérité. Qui par ailleurs aurait pu inventer ce prof érudit et spécialiste de « Madame Bovary », à qui finalement il ressemble ? 

Colombe Schneck est pleine de recoins, on vous aura prévenu.

Le livre est sorti début mars, au début du confinement. Bien avant la secousse du meurtre de George Floyd par la police en mai 2020. Impressionnante coïncidence. Mais la question de l’autrice, au-delà du communautarisme,  est la même que celle de l’Ukrainien Vladimir Korolenko qu’Esther cite :  « Vladimir Korolenko se demande comment un voisin peut se transformer en monstre. Comment les « retenues ordinaires de civilisation peuvent disparaître aussi rapidement ». Vladimir Korolenko n’offre pas de réponse. », Esther va tenter de trouver la sienne en ne déniant plus son histoire. Et Colombe Schneck en dépliant la sienne. Jeanne Thiriet

Nuits d’été à Brooklyn, Colombe Schneck, Stock

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Littérature française

Sois gentil tue-le ! Pas seulement parce que c’est mon frère…

L’auteur Pascal Thiriet est bien mon frère !

Maintenant que c’est dit, on peut vraiment passer à autre chose : Pascal Thiriet est tout à fait un auteur. Du genre ce qu’il y a de plus sûr. Son quatrième roman est une nouvelle fois l’occasion d’imposer un style apparemment très libre mais surtout très inspiré de sa vie à Sète. On sent presque le Sétois d’origine mâtiné de jolies racines corses.

Pascal, son personnage principal est un pêcheur, pas à ligne, non un vrai sur un gros bateau, baptisé Le mort à crédit, parce que sans crédit pas de bateau. Pascal n’a jamais lu Céline, et ce n’est pas du tout grave! Pascal reçoit un jour une lettre de Murène, sa nouvelle copine et co-équipière de chalutier, sans hésiter il prend un fusil et part la rejoindre en Corse. Mais avant cela, il lui arrive des tas de trucs avec des méchants, vraiment, et des gentils, vraiment aussi. C’est un polar mais ce pourrait être aussi un western maritime. Vous le verrez en le lisant, il y a même une sorte d’attaque de diligence de la mer, dans une scène dont l’expertise de marin pourrait être certifié, dans n’importe quel port de la méditerranée.

Donc, le Far West dans ce livre, c’est la Mare Nostrum. Les justiciers n’ont rien de gladiateurs mais se rapprocheraient plutôt des Pieds Nickelés, quant aux héroïnes, un sérieux cocktail de Colomba et Calamity Jane, elles n’ont peur ni du sexe, ni de la mort. 

Rien que pour ce récit héroïque et comique, je vous conseille de mettre dans votre valise de déconfinés, ce roman réjouissant.

Mais plus sérieusement, Pascal, l’auteur – je sais, c’est confusant – a une poésie qui a mon avis aurait pu séduire Michelet. Pas l’auteur de Sorcières mais celui du Peuple. Il écrit au fil de ses romans, une poétique des petits, des sans tribune ni réseaux sociaux, des habitués des Cafés du port, des philosophes de l’anisette. Roman après roman, il crée une esthétique du prolétariat, des pauvres, de ceux qui n’ont comme seule richesse qu’eux-mêmes, c’est-à-dire beaucoup plus que d’autres qui ont tout et qui ne sont rien, à part dans les yeux de leurs banquiers.

Il déploie, opus après opus, un style totalement singulier et implacable qui va de : « Quand je suis arrivé à la maison, il faisait presque sombre, rien ne bougeait, ni sur la terre ni au ciel. », premières lignes du roman, en passant par « Fais pas ta mouette qui se renifle sous l’aile » ou bien « Y’a ton jean qui dit que t’as aimé la bouffe des pubs, toi aussi ».

Donc une histoire et un style cela s’appelle de la littérature. A consommer en haute dose ! Parce que contre l’ennui rien ne vaut un bon livre. Sois gentil tue-le ! En est un.

Sois gentil, tue-le, Pascal Thiriet, Jigal Polar

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Littérature française

Sankhara : Confinage et fracas du monde

Cela fait quelques mois que je veux vous parler de ce livre et je reporte, je reporte… Pourquoi ? Je ne sais pas… La vie qui passe à 100km/h sans doute. 

Rien à voir avec ce que nous vivons aujourd’hui ! Maintenant le temps prend son temps, on l’entendrait presque s’écouler dans le sablier. Sauf si on est soignant, agriculteur, service public ou alimentaire -merci à eux-  où là on court après le temps avec une forte envie de le faire reculer pour mieux s’y préparer.

Finalement, c’est le bon moment pour vous parler de ce livre. Il retrace si bien la période que nous vivons. 

Hélène et Sébastien, jeunes parents de petites jumelles, ont pris du champ l’un vis-à-vis de l’autre. Sébastien, journaliste, travaille comme un forcené au desk actu de l’AFP et Hélène s’est retrouvée, sans l’avoir voulu vraiment, sans s’y être opposée non plus, gardienne du foyer. Heureusement elle écrit : du non publié, du secret, du non montrable. Petit à petit, dans leur histoire, elle devient celle qui ne bosse pas, celle qui ne fait rien, l’invisible du couple.

Et puis un jour ça pète!

Hélène fait son sac et part dix jours, seule, sans dire où et en spécifiant qu’elle est injoignable. Elle rejoint une retraite Vipassana, de la méditation et du strict silence dans une campagne française. Elle plonge dans le grand silence à la recherche d’elle-même, parfois en luttant parfois en glissant. Certain pourrait penser que c’est un séjour pour bobo new-age, il s’agit plutôt d’un combat, d’un bras de fer avec soi, d’un strip-tease de l’âme, d’un échange d’une armure extérieure pour une autre intérieure que l’on touche de temps à autre, au fil de l’expérience. Hors du fracas du monde.

Sébastien, de son côté, se débat, il ne comprend rien. Persuadé qu’Hélène le trompe, il fait n’importe quoi. Invente les scenarii les plus farfelus. Et puis, le 11 septembre, le premier drame du XXIe siècle explose…

Finalement les deux protagonistes incarnent les deux parties de nous-mêmes, celle qui se met en retrait, forcée ou non, pour retrouver quelque chose d’elle-même qui se serait perdu à l’extérieur. Et l’autre est planté dans le présent d’un monde qui s’écroule violemment et qui est pourtant le nôtre. Le seul qu’on est à vivre finalement.

Le roman est construit sur ce double miroir, celui que nous tend Hélène sur l’urgence à ralentir, se dépouiller, trouver ses fondamentaux et celui que nous tend Sébastien, les yeux grands ouverts sur un monde qui s’écroule.

Frédérique Deghelt est une conteuse en finesse qui ne cesse de nous poser de façon romanesque les questions bien réelles de notre époque. La plus belle puisque c’est la nôtre et que c’est la seule que nous ayons à vivre.

Sankhara de Fréderique Deghelt chez Actes Sud paru le 8 janvier

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Inspiration ou transpiration ?

Miroir de nos peines, Pierre Lemaître, Albin-Michel

Pierre Lemaître l’avait promis, sa trilogie Les enfants du désastre puissamment entamée avec Au-revoir là-haut, Goncourt 2013, se termine avec ce troisième opus Miroir de nos peines.

Fidèle à l’ambition de son auteur de s’inscrire dans la tradition des grands feuilletons du XIXe siècle, l’épopée se conclue avec la Seconde Guerre mondiale, de la Drôle de guerre à la Débâcle.  On y suit, Louise, tout petit bout de chou croisé dans Au-revoir là-haut, devenue une jeune-femme mélancolique, aux aventures rocambolesques, en compagnie du bien rondouillard monsieur Jules, bistrotier faisant office de substitur paternel. Comme précédemment, Lemaître construit avec dextérité une famille d’aventuriers qui, plus que l’intrigue, vous collent aux doigts qui tournent les pages -et oui, je lis à l’ancienne, sur du bon papier blanc, qui sent l’encre et le bel ouvrage. Au milieu de tous ces premiers sujets, ma préférence ira à Désiré, imposteur surdoué, qui au fil du récit passe de profession en profession avec maestria et mensonge éhonté, Lemaître se révélant aussi bon dans la comédie que la tragédie, vous allez bien vous marrer. Voilà pourquoi, on ne raconte pas l’intrigue de ce troisième volet, parce que ce n’est pas le problème. Comme les séries de plateforme, les personnages font tout le boulot dans cette histoire et ils le font bien. Si cette lecture est tout à fait passionnante, on n’y retrouve pas non plus le souffle du premier opus dont la scène d’ouverture était du grand art. Ayant eu du mal avec le second, je ne dirai pas que c’est mauvais mais pas très bon non plus. Il y a une petite mécanique d’écriture qui commence à transpirer un peu. Si je me permets cet avertissement, c’est que la saga est certainement l’évènement blockbuster de la rentrée et que ce livre n’a pas besoin de moi pour trouver ses lecteurs addictifs.  J’en suis ravie pour eux et Pierre Lemaître, car écrire ou lire n’a jamais tué personne. Quant à la critique, elle est parfois difficile et comme le dit l’auteur dans Livre Hebdo : « Ecrire c’est moins de l’inspiration que de la transpiration » , ce récit sent un peu la transpiration quand même. Jeanne Thiriet

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Sagrada Familia et Pater Monster

Hors d’ici, Florence Delaporte, Le Cherche-Midi.

Qu’il est difficile de s’extraire de sa famille même quand elle ne vous donne rien… C’est toute l’histoire de Jeanne, une toute jeune-femme de 20 ans qui va devoir choisir entre rester en France ou vivre aux Etats-Unis, la famille ou le mariage, les études ou la figuration conjugale… Difficile de savoir qui on est quand on a eu, comme seule figure paternelle, une brute dotée d’une voix qui fait peur. Un père écrasant, violent, aux humeurs incontrôlables,  portées comme une blessure de guerre. Une mère qui ne dit rien, ne voit rien et consent, en ajoutant « Mais votre père vous aime » … Alors Jeanne hurle de l’intérieur, se défend envers et contre tous, agie par une unique envie : partir, se tirer, foutre le camp, avant que le temps ne l’engloutisse. Héroïque Jeanne qui passe au travers du déni familial, du mensonge paternel, des regrets maternels… Florence Delaporte suit mot à mot sa petite rebelle, dans une langue qui lui ressemble : forte et directe, fière et pudique. Ce roman intimiste remarquable de la rentrée 2020, est aussi une chronique de la vie à Rouen, dans les années 70 peut-être, ce n’est pas précisé. Jeanne, jeune héroïne du XXe siècle, y incarne à elle seule le combat contre le patriarcat, la violence sourde, subtile, perverse, tapie au sein de la famille bourgeoise, celle qui empêche de grandir.   Au travers elle, ce sont aussi les balbutiements du féminisme qui traversent ce roman, une prise de conscience solitaire avant même d’être un combat solidaire.

Bio express
Naissance : Rouen, 1959
Profession : traductrice et écrivaine.

Etudes :
États-Unis (l’Université de Wayne State, 1979-1980)

Allemagne (l’Université de Fribourg-en-Brisgau, 1980-1981) 

France (master lettres modernes, l’Université de Poitiers, 1990-1991).

Premiers livres : « Sœur Sourire. Brûlée aux feux de la rampe », en 1996. 

« Je n’ai pas de château », son premier roman, obtient le Prix Wepler 1998.

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« Elmet », quand le vert vire au noir

C’est le premier et magistral roman d’une toute jeune Anglaise de 30 ans, Fiona Mozley, qui a fini dans la « short list » du Man Booker Price 2017, équivalant du Goncourt chez nos amis du Brexit (ou pas), et qui vient de sortir chez Joëlle Losfeld Editions. Outre-Manche voire Outre-Atlantique, on le range dans la catégorie des « rural noir » -yes, in french also- c’est-à-dire des romans dont l’intrigue, tenant parfois du polar, se noue dans la campagne et la nature. 

Ici nous sommes dans le Yorkshire, la région où a grandi Ted Hugues, célèbre poète de l’innocente sauvagerie de la nature, mais surtout la plus grande des régions minières que le libéralisme violent de Margaret Thatcher a rendu exsangue, en écrasant l’une des plus grandes grèves de mineurs que connut l’Angleterre dans les années 80. 

Elmet, titre du livre, est le nom celte du West Yorkshire, sanctuaire de ceux qui veulent échapper à la loi et qui est resté indépendant jusqu’au VIIe siècle.

 C’est là que vit Dan, le narrateur, un jeune adolescent de 14 ans, délicat et fragile.  Avec son père, un géant de deux mètres, aux poings et bras impressionnants, connu pour son invincibilité, dans les combats de boxe clandestins, et sa sœur Cathy 15 ans qui aime rouler ses cigarettes, boire du whisky et tenir le fusil. Une nouvelle vie pour ces trois-là qui ont dû quitter la maison familiale à la mort de la grand-mère pour construire leur maison de leurs propres mains, sur un terrain abandonné entre la lisière du bois et la voie ferrée de la ligne Londres-Édimbourg. John élève ses enfants pour qu’ils deviennent libres et autosuffisants, il leur a construit une tour intérieure imprenable : « C’était la raison pour laquelle papa nous avait emmenés jusqu’ici : il voulait nous garder à l’écart, nous garder en nous-mêmes, nous protéger du monde. Nous donner une chance, disait-il, de vivre notre propre vie ».

Malgré les difficultés financières, la vie est simple et douce chez les Smythe. En complète autarcie, on y fait cuire son pain, décore la table de noël, et accueille les entrants avec une tasse de thé fumante. C’est la maison du bonheur face à la pauvreté et la barbarie environnante et le géant-boxeur se révèle plein de douceur et de bienveillance pour ses enfants. Mais la mélodie du bonheur n’aura qu’un temps, celui de Mr Price, propriétaire agricole et foncier, qui donne du travail aux journaliers agricoles et leur reprend via des loyers exorbitants.  Plus on s’approche de la ville, plus le monde de Dan devient rude, pauvre, violent et… contemporain. On est alors plus proche de Ken Loach que des sœurs Brontë. Fini la magie de la tendresse ou les esprits protecteurs de la forêt. L’utopie douce décrite par le jeune-homme se transforme en insoutenable barbarie.

Un conte social dont l’auteur revendique la critique implacable de l’Angleterre libérale d’aujourd’hui qui abandonne dans ses campagnes ses damnés de la terre. On attend son deuxième livre avec impatience !